texte d’Elise Clément

Des plis des manteaux sur les fauteuils du salon familial qui attrapaient l’œil de la jeune dessinatrice, enregistrant alors en solitaire la vie des objets familiers au repos de leur fonction, Jeanne Rebillaud-Clauteaux semble avoir conservé le goût de l’infime détail, de la brisure de la matière et de sa trace dans le choix de son medium. Car ce qu’elle nous donne à voir, les tirages ou les estampes, ne sont que l’ultime étape de son geste de graver : ils sont les miroirs imprimés sur papier des planches incisées, creusées, sillonnées de sa pointe sèche, selon une technique particulière d’impression. La gravure, peu importe le choix de sa technique, en l’occurrence en taille directe, offre une image finale toujours différée de son temps de fabrication, si éloigné de l’immédiateté et de l’omniprésence de l’image au XXIe siècle, et dont la plaque peut se faire palimpseste comme support infini d’une seule oeuvre.

Est-ce par cette part d’ombre et cachée à laquelle nous n’avons pas accès, mais subodorons, que nous sommes captés par le travail de Jeanne Rebillaud-Clauteaux, comme si nous cherchions les mystères de cette immersion dans la matière et le temps qui les a fait naître ? Un « voyage » jamais connu à l’avance selon l’artiste et propre à chaque gravure.

Dans le travail de Jeanne réside une force discrète et vivante de ses sujets, grâce à l’agencement des traits irréductibles entre eux qui réussit à donner matière, par exemple, aux battements d’une végétation supposée herbeuse, ou encore à la tension des muscles des corps qui s’approchent, s’empoignent, se mêlent, s’interpénètrent ou s’éloignent. Selon les séries – personnages solitaires, tentant le duo et ses variations, pris dans la foule ou encore les paysages de nature résolument loin de leur commerce -, ses traits sont au cœur de formes de vie tantôt allègres, sombres, profondes ou ludiques, parfois tout à la fois, quand d’une foule agglutinée au moins un se sépare de la masse, semblant venir jusqu’à nous qui le regardons et qui l’attendons presque par une ultime transformation surgir du cadre pour venir nous dire à quoi il échappe. Vertigineuse individuation et pourtant si proche. Les tons de noir, de blanc, de gris qui se dégagent du rythme des traits et de leur profondeur, crée des rapports de masse à géométrie variable, brouillant les frontières entre l’intérieur et l’extérieur des personnes et de la nature qui traversent l’œuvre de l’artiste, que l’absence généreuse de titre redouble encore. C’est ce relief intérieur qui habite les corps des personnages et des paysages qui nous invite à regarder de plus près encore de quoi nos propres solitudes se tissent en miroir de ses paysages sans homme et de ses hommes livrés à eux-mêmes dans le cadre de l’image.

Pour le dire avec les mots du poète René Char : « Seules les traces font rêver », c’est bien ce à quoi nous convient les gravures de Jeanne Rebillaud-Clauteaux, au-delà encore des veloutés de gris qui caressent l’oeil.

Elise Clément

40